mercredi 17 août 2011

Une tranche de vie...

... pas de nous, mais de Vinh ou plutôt d'une amie à lui, jeune femme vietnamienne.
Vinh habitait avec sa famille en face de chez mes parents quand on était petits, j'ai repris contact avec lui grâce à internet.

Il est au Vitenam depuis plus de 6 mois, voici son récit :

"Merci à vous. Juste merci. À la fin de ce mail, vous saurez pourquoi.

Mais pour l'instant j'aimerais vous parler de Chi Oanh. Je profite de

ces deux jours de Têt pour rattrapper mon retard sur des sujets qui me
tiennent à cœur. D'ailleurs il ne me reste que quelques jours à Cao
Bang alors je me repose et me prépare à quitter cette ville ou,
croyez-le ou pas, j'ai passé 6 mois!

J'ai mis deux mois pour vous faire le portrait de cô Huyen, je vais

essayer de faire plus rapide pour Chi Oanh.

Comme vous savez, Chi Oanh est une amie que j'ai rencontrée il y a

trois mois, et avec qui je sors lorsqu'elle n'a pas trop de travail
(ainsi qu'avec ses collègues Chi Huong, Chi Ngoc, em Huyen).
Très vite elle a eu le courage de m'annoncer sa séropositivité tout en
craignant que, comme c'est de mise ici (semble-t-il?) je la rejette.
Elle m'avait d'ailleurs dit "si tu ne veux plus me fréquenter et
manger avec moi, je le comprends".

Evidemment il n'en a jamais été question. Je trouve ça assez terrible

de savoir qu'une personne déjà en difficulté en termes de santé, est
en plus rejettée. Soi dit en passant il faut vraiment croire qu'ici le
sida et la mort en général, sont appréhendés totalement différemment.

Par exemple, sachez que lorsque le fils d'Ong Kin a eu son accident,

sa grand-mère paternelle disait "de toute façon il est presque mort,
cela ne sert à rien de dépenser des frais d'hopital pour rien". La
plupart des gens considèrent toujours que c'est de sa faute car pour
eux, "c'est un mauvais garçon et beaucoup d'argent a été dépensé pour
son accident, il ne le mérite pas".
 Ong kin (qui gagne dix fois plus que sa femme mais ne lui reverse
jamais rien malgré qu'elle forge avec lui - même pas les frais de
nourriture -) n'a pas déboursé le moindre centime pour son fils pour
l'hopital (il n'est d'ailleurs même pas allé le voir durant sa
convalescence), alors que sa femme a dépensé toutes ses économies,
plus de 5000 euros, une vraie fortune dans ce pays! Ce qui fait que
maintenant elle gagne tout juste par jour (en vente de charbon) ce
qu'elle dépense pour toute la famille, ong kin y compris. Quand vous
savez que cette vente ne lui rapporte que 20c d'euro par fagot de bois
et par kilo de charbon, vous vous doutez que la vie n'est pas facile!

Partant de là, pas étonnant que personne ne soutienne chi Oanh. Comme

vous savez on assimile le sida à prostitution/drogues/mauvaises
personnes.

Chi Oanh est extérieurement pleine de vie mais intérieurement très

triste. Comme je vous l'ai dit, dans ce pays il est difficile de
cerner l'état d'esprit des gens puisque la tristesse ne doit pas se
montrer.
Comme cô Huyen et comme des millions d'autres personnes dans le monde,
je la trouve très courageuse de ne pas baisser les bras étant donné
son quotidien.

Au début je ne réalisais pas à quel point ses conditions de vie

étaient difficiles. J'ai visité une seule fois sa maison (avec les
ragots ici, il vaut mieux éviter) et en ai été ému car comme elle me
l'a dit en souriant "tu vois, il n'y a rien". Un lit, un canapé, une
télé...pas d'eau chaude pour se laver (ce qui pour une personne en
bonne santé ne pose pas de problème, peut l'être pour une personne
comme chi Oanh qui est déjà très faible physiquement et pour qui le
moindre rhume peut s'aggraver). Seul point positif, la proximité de
ses beaux-parents, chez qui elle peut manger (mais ils ne branchent
pas le chauffe-eau en été car ils disent que ça coute trop cher).

Chi Oanh a découvert sa séropositivité en 2005. Elle a eu une période

assez grave puis avec un traitement elle s'en est remise. Maintenant
elle suit un traitement quotidien. Les avis des médecins sont
partagés. Certains disent qu'elle a deux ans à vivre, d'autre cinq ans
(si elle ne travaille pas, garde sa joie de vivre, et suit ses
traitements). Un autre (le dernier, un médecin américain) dit que si
elle tient trois ans elle pourrait avoir accès à d'autres traitements
et surmonter la maladie.
Ce dernier l'a encouragée à faire des analyses à Hanoi (280km) mais
elle ne veut pas y aller car c'est loin, cher, et elle n'a personne
pour l'accueillir.

Enfin, je n'ai pas exactement tout retenu et ai peut etre mal compris,

mais ses analyses ont montré qu'elle avait un taux de 300 (? 300 quoi?
Globules?) dans le sang. À 200 c'est la mort, et une personne saine en
aurait 10 000 (?).
En outre elle n'a pas assez de sang, et le médecin lui a conseillé
d'acheter du sang et se le faire transfuser. Hic : elle n'a jamais
voulu car c'est très cher, 30euros les 400ml (il lui en faut deux).
Par contre ça améliorerait son état. Eh oui, ici lorsque vous avez
besoin de sang il faut le payer au prix fort.
Je ne suis pas médecin et elle non plus ; je me contente de vous
rapporter ce qu'elle m'a dit.

Au Vietnam, parler d'argent est d'une facilité déconcertante et, pour

des gens comme Jonah et moi, dérangeante. Parler d'argent est aussi
banal que parler du beau temps. On passe son temps à vous demander
combien vous avez payé vos chaussures, combien vous gagnez par mois,
etc. Pas seulement à moi, non, à tout le monde : voisins, inconnus,
collègues. Jonah et moi avions vite trouvé la parade, qui consiste à
annoncer des sommes farfelues pour décourager toute question.

C'est pourquoi je sais que chi Oanh, en travaillant 10h par jour, a un

revenu fixe de 42 euros/mois, ce à quoi il faut ajouter 0,80euro par
habit commandé. Chi Oanh est une couturière. Un haut sur mesure coute
100 000vnd (3,60euro) tissu compris, et chi Huong (la patronne) lui
reverse 22 000vnd de cette somme.
Grosso modo il faut sept-neuf heures de travail pour coudre deux
hauts. En travaillant bien elle peut donc coudre trois, voire 4 hauts
(3 euros) par jour car il est très fréquent qu'elle finisse la couture
à minuit chez elle, ou bien qu'elle couse à 4h du matin pour prendre
un peu d'avance.

Au maximum, tout compris, mon amie peut gagner 110 euros par mois. 2/3

de cette somme sont réservés à payer les études de son fils (repas et
lycée) qui vit chez sa tante. Le tiers restant est pour elle, pour
manger. Pas étonnant qu'elle ait hésité à faire réparer son phare pour
10 euros, et qu'elle ne veuille pas acheter de poche de sang.

En fait, si je lui avais jamais posé la question, je ne me serais

jamais douté de tout ça. Car lorsque nous sortons avec ses collègues
ou tous les deuxelle refuse toujours que l'on paye. Les rares fois ou
elle accepte que je l'invite c'est lorsque l'addition est très
légère...car elle considère que en tant que voyageur c'est à elle de
m'inviter et pas le contraire...

En fait, beaucoup de gens qui m'entourent vivent de cette façon,

c'est-à-dire gagner tout juste assez pour s'acheter à manger le même
jour. Pas d'économies sous le matelas, pas de compte en banque. Ici le
métier de forgeron rapporte dix fois plus que le métier de couturière.

Chi Oanh est une battante. Les medecins disent que si elle veut vivre

plus longtemps elle devrait arreter de travailler. Mais elle me dit
que c'est impossible car sans travail, pas de revenus pour elle et son
fils (17 ans). Sa famille est au courant de sa maladie mais ne lui
donne pas de soutien financier (ni moral, d'ailleurs).

Tout ceci, et le fait qu'elle n'ait jamais accepté d'argent de ma part

(y compris lorsque j'ai proposé de lui payer la réparation du phare),
m'ont conforté dans un projet que j'avais en tête depuis longtemps.

C'est presque la fin de ce voyage de 256 jours. En restant chez Ong

Kin j'ai pu finalement rester trois mois de plus avec la somme prévue
pour cinq mois. J'avais tout pris en liquide. Il me reste tout juste
de quoi rentrer à hcm ou je retirerai de quoi payer les diverses
dépenses de départ : envoi de tout ce qui est lourd par transporteur
bateau, divers achats pour la famille etc.

Après avoir tout compté et recompté j'ai donc décidé de donner

1million de dongs (35 euros) à chi Oanh. Elle a refusé plusieurs fois
mais j'y tenais. La bonne nouvelle c'est que cela va payer une poche
de sang, et que son beau-frère a proposé de payer la poche manquante!
La mauvaise, c'est que je n'ai pas (ici) les moyens de lui donner plus
en mains propres.

Donc j'ai réfléchi, et j'ai décidé d'utiliser une grande partie de vos

adhésions à Vie Bovinh, pour verser une petite pension à chi Oanh. Le
montant total de vos adhésions est d'environ 500euros. J'ai déduit 100
euros pour l'achat des bandes de ponçage pour Ong Kin, et 100euros
pour quelques frais concernant mon voyage. Jusqu’à maintenant je n'ai
pas touché à cette somme car ma carte bancaire est à hcm. Une fois là
bas je pourrai la retirer et la donner à une personne de confiance qui
pourra lui envoyer des mandats mensuels de  35euros. Cela durera
environ dix mois, après quoi je trouverai une autre solution (par
exemple déduire 5% ou 10% de la vente de mes tirages).

Vous avez été nombreux à adhérer à Vie Bovinh. Le but était de me

soutenir moralement, et aider financièrement d'autres personnes. C'est
ainsi que j'ai pu offrir des dictionnaires, et également distribuer
plus de 150 tirages numériques. Maintenant je pense que vous serez
tout à fait d'accord pour que cette somme soit versée petit à petit à
chi Oanh, car cela peut lui permettre de se reposer un peu plus, ou
bien d'acheter des médicaments, de manger mieux, etc.

C'est pourquoi je remercie ici tous ceux qui ont adhéré à vie bovinh

(certains l'ont même fait deux fois!) et également ceux qui ont
exprimé le souhait d'adhérer mais qui n'en ont pas les moyens. Et je
remercie également tous ceux qui ont pris le temps de m'écrire ou
m'envoyer un mail durant ce voyage, car le soutien moral a tout autant
de valeur!

Juste merci, donc. Pour ceux qui désirent apporter leur soutien,

sachez qu'il sera intégralement reversé à chi Oanh et que 10 euros
équivalent à trois jours (30h) de travail. Pour cela il suffit de se
rendre sur le blog vie bovinh et de cliquer sur l'onglet "adhérer" en
haut à droite. Un compte paypal n'est pas obligatoire, une carte
bancaire suffit. Comme je rentre bientôt vous pouvez aussi m'envoyer
un chèque à Barre des Cévennes.

Comme je l'ai appris (et pour cause!) il faut battre le fer pendant

qu'il est encore chaud!"


Voici le lien vers son blog : ici, et un lien vers un message plus ancien sur Chi Oanh ici.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire